Tirésias
dans Les Phéniciennes
I/
L’arrivée du devin
Etéocle
a mis au point un plan de bataille pour faire face à l’armée
des sept chefs qui assiège Thèbes. Avant d’engager
les opérations militaires, il veut connaître les
prédictions d’un devin : v.768,
e‡ ti qšsfaton o„wnÒmantij
Teires…aj œcei fr£sai, toàd' ™kpuqšsqai
taàt'.
Pourtant, c’est Etéocle lui-même qui
autrefois avait blâmé, en présence de Tirésias,
l’art divinatoire (v.772-773 :
™gë d tšcnhn
mantik¾n ™memy£mhn ½dh prÕj aÙtÒn,
éste moi momf¦j œcein.).
Il confie donc à Créon le soin de s’entretenir
avec le vieil homme. Celui-ci arrive peu après, guidé
par sa fille (v.834 : ¹goà
p£roiqe, qÚgater)
et par le fils de Créon, Ménécée,
précisément le jeune homme qui devra être
sacrifié (v.841 : tšknon
Menoikeà, pa‹ Kršontoj, e„pš
moi...).
II/
Son statut
D’entrée dans le discours d’Etéocle le nom
de Tirésias est associé à la notion de conflit :
le vieillard paraît suspect aux yeux du tyran quant à la
qualité de son art divinatoire. Pourtant Tirésias, qui
revient d’Attique, justifie sa valeur en annonçant la
victoire d’Erechthée sur Eumolpe roi d’Eleusis, ce
grâce à ses pouvoirs : v.854-855,
k¢ke‹ g¦r Ãn tij
pÒlemoj EÙmÒlpou dorÒj, oá
kallin…kouj Kekrop…daj œqhk' ™gè·.
D’autre part le
devin est respecté et honoré par Créon et son
entourage : v.845-846, pšlaj
g£r, Teires…a, f…loisi so‹j ™xèrmisai
sÕn pÒda:.
III/
Les échanges de parole
Tirésias n’entretient d’échange verbal
qu’avec le seul Créon, et tout le dialogue a trait à
la solution pour délivrer Thèbes. Voici le plan de ce
passage :
v.834-864 :
arrivée de Tirésias et les raisons de sa venue (v.864 :
t… drîntej ¨n m£lista sèsaimen pÒlin.)
v.865-896 :
Tirésias expose les raisons de la condamnation de la cité.
Il existe un remède pour la délivrer (v.893 : le
f£rmakon swthr…aj
dont parle Claire Nancy)
mais le devin se refuse à le délivrer (face au père
de l’éventuelle victime...) et cherche à se
dérober (v.896 : Kr.
™p…scej aÙtoà, pršsbu. / Te. m¾
'pilamb£nou.).
v.897-910 : insistance de Créon, qui cherche à
tout prix à savoir le vrai, ce à quoi se résout
peu à peu Tirésias. La négociation se fait en
plusieurs étapes : d’abord Tirésias refuse
en bloc de parler de l’oracle car il veut protéger
Créon, puis fléchit devant l’argument citoyen
(v.899 : fr£son
pol…taij kaˆ pÒlei swthr…an.)
tout en refusant la présence du principal intéressé
(v.907 : ¢pelqštw
nun qesf£twn ™mîn ˜k£j.),
pour se plier finalement aux volontés de Créon, qui
signe là une ‘victoire’ rhétorique pour
ensuite s’avouer vaincu face à l’abrupte vérité.
v.911-959 :
révélation proprement dite de la prophétie,
c’est-à-dire la nécessité de l’immolation
de Ménécée, qui entraîne les suppliques de
Créon puis la justification de l’oracle par le devin.
IV/
Les prophéties proprement dites
La
seule prophétie de la pièce en est une cheville
particulièrement importante, puisqu’elle concerne le
moyen de résolution du conflit entre Thèbes et les
Sept, sujet de l’œuvre. Elle est toute entière
liée au personnage du devin Tirésias, qui est mandé
spécialement dans ce but. Les éclaircissements du devin
sont livrés en trois temps. Le premier moment de ce triptyque
concerne les causes de la situation présente : la
paternité de Laïos, les errements d’Œdipe,
les impiétés de ses fils qui ont entraîné
sa malédiction. C’est bel et bien cette lignée
maudite qui a précipité les malheurs de Thèbes :
v.886-887, ™ke‹no mn g¦r
prîton Ãn, tîn O„d…pou mhdšna
pol…thn mhd' ¥nakt' enai cqonÒj...
A la fin de cette première tirade Tirésias
laisse cependant entrevoir une chance de salut (v.890 :
m…' œstin ¥llh mhcan¾
swthr…aj.) mais se refuse à la livrer, ce
qui va entraîner les négociations déjà
évoquées.
La
révélation de l’oracle semble intervenir comme
l’axe d’un miroir inversé, puisqu’elle se
trouve exactement au milieu des deux tirades de Tirésias et
qu’elle provoque le changement radical de comportement de
Créon : v.911-914, ¥koue
d» nun qesf£twn ™mîn ÐdÒn·[§
drîntej ¨n sèsaite Kadme…wn pÒlin]
sf£xai Menoikša tÒnde de‹ s' Øpr
p£traj, sÕn pa‹d', ™peid¾ t¾n
tÚchn aÙtÕj kale‹j.
Le
troisième moment du triptyque est consacré à
l’explication de le nécessité du sacrifice :
l’expiation du meurtre du dragon par la mort d’un homme
issu de ses dents semées. Tout le dilemme imposé à
Créon par l’oracle se résume dans le vers 952 :
À g¦r
pa‹da sùson À pÒlin.
La
première chose qu’il faut constater est l’étroitesse
du lien entre la prophétie et la conduite politique de la
cité. La seconde est l’importance des pouvoirs du
devin : son savoir englobe passé, présent et futur
et se trouve pourtant confronté à une circonstance
contingente délicate, puisqu’il est le seul à
disposer des clés de la situation et par là même
il s’expose aux plus grands dangers : c.f. les vers 954 à
959, réflexion sur le statut du devin. Les réactions
d’Etéocle (simplement mentionnée) et de Créon
sont à cet égard bien intéressantes. Dans le
premier cas, le tyran, qui confisque le pouvoir, ne peut supporter de
se voir menacer par la vérité que le devin a à
lui dire. C’est ainsi qu’il le fustige d’accusations
qui portent sur le seul plan qu’il envisage : l’avidité
du pouvoir et ici plus particulièrement de l’argent.
Créon quant à lui voit son comportement radicalement
modifié par la révélation du devin. D’abord
c’est le bandeau de victoire, heureux présage (v.858
: o„wnÕn ™qšmhn
kall…nika s¦ stšfh·) qui
donne naissance à de lourdes menaces (v.917
: ð
poll¦ lšxaj ™n brace‹ crÒnJ kak£.)
Puis, alors qu’il désirait auparavant tout faire
pour le salut de la patrie (v.864 : t…
drîntej ¨n m£lista sèsaimen pÒlin.),
Créon désormais récuse ces préoccupations
face à la mort qui plane sur son fils : v.919,
cairštw pÒlij.
Enfin et surtout, ce sont les oracles mêmes du vieillard
qui sont remis en cause (v.921 : ca…rwn
‡q'· oÙ g¦r sîn me de‹
manteum£twn.)
après avoir été tant attendus (v.901-902 :
Te. qšleij ¢koàsai dÁta
kaˆ spoud¾n œceij; /
Kr. ™j g¦r t… m©llon
de‹ proqum…an œcein;)
Voir la
question des pratiques divinatoires avec les vers 837-839. Ces vers
en effet font allusion à une pratique divinatoire
particulière, la cléromancie par l’oionoscopie :
kl»rouj tš
moi fÚlasse parqšnJ cer…, oÞj œlabon
o„wn…smat' Ñrn…qwn maqën q£koisin
™n ƒero‹sin, oá manteÚomai. En
fait le devin (m£ntiς,
d’où dérive le verbe manteÚomai)
‘note’ des sorts (kl»rouj)
en observant les oiseaux, messagers des dieux. Tirésias,
en se livrant ainsi à la divination inductive (c’est-à-dire
par les signes, par opposition à la divination intuitive ou
inspirée),
confirme son appartenance à la catégorie des grands
«voyants» de l’âge héroïque. Il
est aussi fait mention d’un «siège sacré»
d’où le devin formule ses oracles.
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