Tirésias
dans Les Bacchantes
I/
L’arrivée du devin
Après
le prologue exposé par Dionysos et la parodos du chœur
des ménades lydiennes, le premier épisode nous présente
le devin Tirésias accompagné de l’ex-roi de
Thèbes Cadmos. Les deux hommes forment ici un couple
pittoresque de deux vieillards (v.174 :
pršsbuj ín geraitšrJ)
qui s’apprête à célébrer le
nouveau dieu. Ainsi les deux hommes sont-ils revêtus du costume
des bacchants, le thyrse, la peau de faon, la couronne de lierre
(v.175-176 : qÚrsouj
¢n£ptein kaˆ nebrîn dor¦j œcein
stefanoàn te kr©ta kiss…noij blast»masin)
pour effectuer les danses et chants rituels (v.
184-185 : po‹ de‹ coreÚein,
po‹ kaqist£nai pÒda kaˆ kr©ta se‹sai
poliÒn; ™xhgoà sÚ moi...
demande Cadmos à son docte compagnon.)
Une
didascalie de l’édition de la Pléiade nous
signale que le devin paraît guidé par un enfant, comme
c’est son habituelle représentation.
II/
Son statut
Dans
cette pièce Tirésias semble être un familier de
la maison royale. Cependant son statut officiel n’est pas
clairement explicité. On peut juste définir sa position
à partir des relations qu’il entretient avec les autres
personnages. Ainsi sa complicité avec le vieux roi est réelle
car ils partagent tous deux le respect du nouveau culte dionysiaque.
Ces deux personnages sont alors clairement mis du côté
de la sagesse et de la clairvoyance : ð
f…ltaq', æj s¾n gÁrun ÆsqÒmhn
klÚwn sof¾n sofoà par' ¢ndrÒj
(v.179-180) dit Cadmos à Tirésias, tandis
que ce dernier qualifie les opposants du dieu de fous (v.197 :
mÒnoi g¦r eâ fronoàmen,
oƒ d' ¥lloi kakîj.).
A la position du devin s’oppose donc celle des gens
‘déraisonnables’ menés par Penthée,
le successeur de Cadmos sur le trône, mais qui considère
pourtant les vieillards (selon l’apparence qu’ils
arborent) comme les vrais fous. Penthée exerce sur la cité
un véritable pouvoir tyrannique en empêchant de rendre
le culte au nouveau dieu : il enferme les ménades qu’il
rencontre (v.226-227 : Ósaj
mンn
oân e‡lhfa, desm…ouj cšraj sózousi
pand»moisi prÒspoloi stšgaij·)
et insulte les deux vieillards en apercevant leur
costume de bacchant (v.247- 260 : ¢t¦r
tÒd' ¥llo qaàma, tÕn teraskÒpon ™n
poik…laisi nebr…si Teires…an Ðrî
patšra te mhtrÕj tÁj ™mÁj–polÝn
gšlwn– n£rqhki bakceÚont'·
¢na…nomai, p£ter, tÕ gÁraj Ømîn
e„sorîn noàn oÙk œcon. oÙk
¢potin£xeij kissÒn; oÙk ™leuqšran
qÚrsou meq»seij ce‹r', ™mÁj mhtrÕj
p£ter ; sÝ taàt' œpeisaj, Teires…a·
tÒnd' aâ qšleij tÕn da…mon'
¢nqrèpoisin ™sfšrwn nšon skope‹n
pterwtoÝj k¢mpÚrwn misqoÝj fšrein.
e„ m» se gÁraj poliÕn ™xerrÚeto,
kaqÁs' ¨n ™n b£kcaisi dšsmioj mšsaij,
telet¦j ponhr¦j e„s£gwn·)
III/
Les échanges de paroles
Ce sont
ces vers 247-260 qui exposent parfaitement les accusations menées
par le tyran à l’encontre de Tirésias. En effet,
si Penthée exhorte son grand-père (patšra
te mhtrÕj tÁj ™mÁj)
à simplement abandonner le costume dionysiaque, c’est
bien le devin qu’il accuse d’avoir entraîné
Cadmos : sÝ
taàt' œpeisaj, Teires…a·
(v.255). Les raisons de ses agissements ? la
cupidité : pour Penthée, Tirésias veut
propager le culte et les mystères de ce nouveau dieu pour
obtenir un autre moyen de se faire payer ses services divinatoires,
c’est-à-dire l’observation des oiseaux et des
foyers sacrés (v.257 : tÒnd'
aâ qšleij tÕn da…mon' ¢nqrèpoisin
™sfšrwn nšon skope‹n pterwtoÝj
k¢mpÚrwn misqoÝj fšrein.).
Seul l’âge avancé du devin l’empêche
de subir de plus durs châtiments : e„
m» se gÁraj poliÕn ™xerrÚeto, kaqÁs'
¨n ™n b£kcaisi dšsmioj mšsaij, telet¦j
ponhr¦j e„s£gwn· (v.
259-260). Les propos de Penthée sont graves car ils
sont empreints d’impiété à l’égard
du personnage sacré du devin (comme le montre d’ailleurs
le jugement du chœur : v.263,
tÁj dussebe…aj. ð
xšn', oÙk a„dÍ qeoÝj (...))
alors que le rapport entre les faits et l’accusation semble
bien ténu. D’un point de vue tout à fait
subjectif, Penthée apparaît plutôt comme jalousant
le pouvoir religieux et spirituel de Tirésias, proche du vieux
roi Cadmos qui comme ce dernier respecte le nouveau culte, alors que
Penthée, détenteur du pouvoir politique, craint pour le
maintien de l’ordre dans sa cité : le tyran voit le
mensonge et les turpitudes (dépravation, cupidité…)
partout.
Le début
de la réponse du devin conforte cette vision, car il reprend
Penthée sur le plan politique : les hommes tels que lui,
qui mettent les discours habiles au service de causes déraisonnables
sont les véritables dangers pour la cité (v.
270-271 : qr£sei dン
dunatÕj
kaˆ lšgein oŒÒj t' ¢n¾r kakÕj
pol…thj g…gnetai noàn oÙk œcwn.).
A
l’inverse les échanges de parole entre les deux
vieillards sont empreints de bienveillance et de respect, tendant
vers le même but d’honorer le dieu.
IV/
Les prophéties proprement dites
Dans
cette pièce Tirésias ne formule pas de prophétie
déterminante pour le drame. On pourrait penser qu’il
s’efface devant Dionysos, personnage principal de la pièce,
mais surtout dieu, et qui plus est disposant de pouvoirs prophétiques
(v.298 : m£ntij
d' Ð da…mwn Óde).
Cependant si le devin ne prophétise pas au nom d’un
oracle, son bon sens et sa clairvoyance lui permettent d’entrevoir
le drame final : v.367-369, PenqeÝj
d' Ópwj m¾ pšnqoj e„so…sei dÒmoij
to‹j so‹si, K£dme· mantikÍ mンn
oÙ lšgw, to‹j pr£gmasin dš·
mîra g¦r mîroj lšgei.
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